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350 ans d’histoire du Cap-Haïtien

Il faut aimer une ville comme on aime une femme pour l’abriter dans un beau livre. Il faut la connaître pour savoir les meilleures périodes pour visiter une ville dont la température de la mer est agréable toute l’année. Elle varie de 26 à 30 degrés. Les températures moyennes s’échelonnent de 21 degrés en juillet à 27 degrés en octobre. Pour ceux et celles qui ne s’accommodent pas trop avec la pluie, les mois de janvier, de février, de mars et de décembre sont recommandés pour aller au Cap.

« Le Cap-Haïtien, 350 ans d’histoire 1670 – 2020 » de l’ingénieur Jean-Hérold Pérard célèbre la fondation d’une ville emblématique d’Haïti.  Un tel volume relève à la hauteur du passé grandiose d’un territoire urbain surnommé, au temps de la colonie française, le Paris de Saint-Domingue.

Dans son livre intitulé « Haïti, son histoire et ses détracteurs », Gastonnet des Fosses écrit : « Le Cap-Français était la principale ville de la colonie et l’une des plus brillantes de l’Amérique. On y voyait des places publiques plantées d’arbres et ornées, pour la plupart, de fontaines ornementales, plusieurs édifices, tels que le palais du gouvernement, le palais de justice, une belle église, un arsenal, un entrepôt, un théâtre, de belles casernes et des hôpitaux… » Plus loin, il décrit ce haut lieu de l’histoire plusieurs fois rebaptisé : Guarico, Cap-Français, Cap-Henry, Cap-Haïtien.  Il évoque le temps où la richesse flamboyait dans ce tissu urbain implanté dans une large baie où jetaient l’ancre colons français, espagnols, anglais attirés par la croissance économique de l’île. 

Gastonnet des Fosses ajoute : « La ville du Cap-Français présentait tous les avantages d’une grande cité… près du quai Saint-Louis se tenait, tous les dimanches, le marché aux Blancs où l’on trouvait tous les articles d’Europe… La ville pour ses beautés et par ses richesses était surnommée le Paris de Saint-Domingue et le Paris des Antilles. »

Le monde culturel florissait au Cap. La richesse s’accompagnait de spectacles rien que pour le plaisir de se montrer en public dans les vêtements à la mode, pour des rencontres galantes, pour se socialiser. Pérard évoque les bons moments. « À cause de sa grande prospérité, la colonie de Saint-Domingue était une destination très prisée pour des acteurs et des actrices réputés, comme pour les musiciens de la France métropolitaine qui venaient régulièrement jouer dans les différents théâtres de la colonie, particulièrement au Cap et à Port-au-Prince. Il y avait également un grand nombre d’acteurs, nés à Saint-Domingue ou y résidant, qui y jouaient de façon répétée dans ces différents théâtres. »

L’offre et la demande culturelles se rencontraient sur un territoire de prospérité. « La fréquentation des salles de spectacles était relativement grande et la colonie était très pourvue en salles de spectacle. À titre de comparaison, en 1789, quand la population de Saint-Domingue était d’environ 31 000 Blancs pour 28 000 libres de couleur – selon des chiffres officiels – il y avait 3 800 places de théâtre, alors que Paris en comptait à la même époque environ 13 000 places pour une population de 60 000 habitants. »

Jean Baden Dubois a salué l’ouvrage de Jean-Hérold Pérard

Le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, Jean Baden Dubois, a salué cette monographie. « En choisissant d’appuyer la parution de cet ouvrage, la BRH forme le vœu qu’il puisse, dans le futur, servir de guide pour informer tant l’exploitation de la vibrante histoire du Cap-Haïtien que l’évolution de celui-ci, qui est aussi le deuxième centre urbain le plus important du pays. D’autant plus qu’un tel travail est la résultante de longues années d’études et de recherches menées par l’auteur sur le terrain, appuyées par l’expérience qu’il a acquise dans l’aménagement de chantiers patrimoniaux parmi les plus conséquents de la région. »

Cette parution dans le cadre des solennités de l’année 2020, pour Baden Dubois, est liée aussi au « bicentenaire de la mort du roi Henry Christophe, l’immortel bâtisseur de l’incomparable citadelle Henry, située à une heure environ de cette métropole du Cap-Haïtien qui fut le bastion du grand roi. »

L’ingénieur Jean-Hérold Pérard est à son quatrième ouvrage. Il poursuit inlassablement le même but. Un fil rouge traverse ses titres pour nous guider dans la ville du Cap-Haïtien : la citadelle restaurée ; le palais Sans-Souci : entre émerveillement et appréhension ; Henry Christophe, ce grand méconnu et, son dernier né : Le Cap-Haïtien 350 ans d’histoire 1670 – 2020.

Une œuvre de mémoire pour Jean Myrtho Julien 

Avant d’ouvrir cette monographie, j’ai mis du temps à apprécier sa couverture avenante qui appelle à « un plaidoyer pour la sauvegarde du patrimoine historique du Cap ». J’ai ouvert et parcouru ce matériel qui s’offre comme un beau tableau à la vue. Pour Jean Myrtho Julien : « Ce livre est une œuvre colossale, qui explore avec minutie tous les contours de l’histoire passée et contemporaine de ce trésor national. L’auteur y fait aussi une œuvre de mémoire, et s’ingénie à inculquer aux générations montantes, qui ne connaissent de la ville que son aspect actuel délabré, si peu conforme à la ville du Cap chantée par nos bardes, les éléments cardinaux de cet art de vivre typiquement capois. Pérard les initie à la cuisine, la musique, la peinture, le théâtre capois, et leur présente certains hommes célèbres qui ont incarné, dans le temps, ‘’cet esprit capois’’. » 

L’attrait du Cap-Haïtien

Dans son discours préliminaire, l’ingénieur Pérard présente la ville trois fois centenaire avec un accent éloquent : « Aucune ville du pays ne possède peut-être l’attrait du Cap-Haïtien, avec son réseau de rues généralement étroites et disposées en carreaux de damiers. Surnommé le Paris de Saint-Domingue, pour sa richesse et sa sophistication, exprimée par sa belle architecture et sa vie artistiques, le Cap est une ville importante pendant toute la période coloniale. Depuis sa fondation officielle en 1711 jusqu’en 1770, date à laquelle la capitale fut transférée à Port-au-Prince, il a servi de capitale à la colonie française de Saint-Domingue. Après la révolution haïtienne, il devint, jusqu’en 1820, la capitale du royaume du Nord d’Haïti pendant le règne du roi Henri 1er. »

Les méfaits de l’histoire

Mais pourquoi le présent du Cap-Haïtien n’a plus cet attrait de Paris évoqué dans l’ouvrage de Pérard ?

Haïti est un pays mouvementé, un pays toujours en proie à des sursauts de révolte. Le chaos n’est jamais assez loin. Les méfaits de l’histoire, les guerres, les incendies ont souvent ravagé cette cité prospère. Colons blancs, hommes de couleur libres (mulâtres ou noirs affranchis) se sont entredéchirés. Un vrai dialogue ne s’est jamais institué entre les couches irréconciliablement opposées de cette population. L’exploitation féroce des nègres abrutis dans le système esclavagiste avait complètement déshumanisé la diaspora africaine. 

Lorsque les Noirs révoltés se sont emparés de la ville, ils ont saccagé avec rage et brûlé tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage. Ils n’avaient rien à voir avec cette richesse insolente, signe d’une civilisation gréco-latine.

Aujourd’hui, le Cap-Haïtien devient méconnaissable. Les Capois de souche tout comme les Port-au-Princiens ont fui leur ville pour aller s’établir ailleurs. Les nouveaux arrivants occupent l’espace anarchiquement et défigurent le tissu urbain.

L’auteur du livre met l’accent sur trois thèmes pour permettre une analyse exhaustive du problème : « L’origine de la ville, son évolution et son expansion ; la vie civique et communautaire des Capois ; le déclin de la ville et le problème de la crise d’identité, les propositions de solutions pour y remédier. »

« L’instabilité politique et la faiblesse institutionnelle chroniques ont compliqué la planification et la gestion de cet espace urbain sous pression. Les règles d’urbanisme ne sont plus respectées. Tous les verrous ont sauté et le cap se retrouve dans la situation d’une ville surexploitée », souligne l’auteur avec acuité.

L’ingénieur Pérard a posé son diagnostic sur la ville, il l’a examiné et a rendu ses réflexions dans une monographie bien ficelée. Après avoir parcouru ces pages, je me demande quel projet cohérent viendra sortir nos villes de ce chaos. Ce qui arrive au Cap-Haïtien est semblable à la situation actuelle de Port-au-Prince, la capitale.

Nous voulons tous une ville moderne, brillant de tous ses éclats comme le beau soleil d’Haïti sur nos têtes. Mais comment un tel rêve peut-il devenir une réalité si nous n’arrivons pas à améliorer les conditions socioéconomiques du peuple haïtien dans son ensemble. 

Aujourd’hui beaucoup de jeunes pensent à fuir Haïti; certains n’ont pas de moyens pour entrer dans un centre professionnel ou à l’université, ils végètent pendant des années ; d’autres, désoeuvrés, recourent au banditisme pour assurer leur survie. Le sous-développement comme cercle vicieux devient une fatalité dans une société à bout de souffle.

Pérard a fait miroiter le Paris de Saint-Domingue dans son ouvrage monographique. Il a fait rêver. Au regard de l’histoire, la richesse de ce Paris s’est faite avec les Blancs sur le dos des esclaves. Maintenant que les descendants des héros de la révolution de 1804 sont aux commandes, Haïti se laisse imprégner par une avalanche de mots transformés en dieux funestes à nos milieux de vie. Ils sont toxiques, ces dieux, ces vocables qui recouvrent le pays comme un tissu lexical. Ce tissu l’enferme dans un corset; il l’étouffe, et le refrain lancinant de ces énergies en mouvement devient familier à notre environnement : ingouvernabilité, violence, insécurité, instabilité, gangs, kidnapping, absence de justice, dégradation de l’environnement, vulnérabilité, malnutrition, insalubrité, médiocrité, insuffisance de main-d’œuvre qualifiée, fuite des cerveaux, banalisation de la vie, sous-développement,  désordre, dépendance, assistance, pauvreté. C’est à croire que notre état de délabrement se poursuit sans fin. 

À quand les bonnes décisions politiques visionnaires capables de créer des conditions soutenables au développement urbain harmonieux en Haïti? 

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